affiche 2018 webLes chercheurs du site ont présenté leurs projets de recherche sous l’angle de leurs impacts potentiels : impacts pour la connaissance, mais aussi pour tous les domaines dans lesquels ils s’appliquent ou pourraient s’appliquer (santé, éducation, culture, social, industrie...). Ensuite, des ateliers en groupe l’après-midi ont été consacrés à une réflexion sur certains projets présentés le matin, qui se sont portés candidats lors de la soumission, pour questionner les enjeux éthiques qu’ils renferment.

Un exposé de Sarah CARVALLO (chargée de mission Université de Lyon, Ethique de la recherche, Intégrité scientifique, Responsabilité sociale, Ecole Centrale de Lyon - ENS Lyon IHRIM UMR 5317) intitulé "L’éthique de la recherche : une fausse bonne solution ?" en amont des ateliers a permis d'introduire les concepts principaux sur cette question.

« L’éthique est un problème embarqué, il implique une prise de conscience de la complexité du problème. » En retraçant un historique du rapport entre les sciences et la société (et notamment l’avènement des TechnoSciences et de la knowledge economy), de l’évolution des relations entre statut public et statut privé des connaissances (au travers des mécanismes éditoriaux par exemple) et en rappelant les distinctions essentielles entre des termes souvent amalgamés - déontologie, intégrité, éthique - Sarah Carvallo nous amène naturellement a prendre conscience que l’éthique ne peut se considérer que d’un seul point de vue.

Chercheurs et citoyens participent d’un même système et se façonnent mutuellement. « La manière dont nous parlons de notre recherche importe », car au travers des mots, le chercheur façonne la réalité et la donne à voir au citoyen. Il en est en ce sens responsable. Par ailleurs, la société a des attentes vis à vis des chercheurs : qu’ils aident son développement, l’épaule dans ses difficultés, la guide dans ses choix : « la dimension purement scientifique ne suffit pas à développer les projets ». De ce système naît les interrogations qui nous animent aujourd’hui, que nous avons spécifié sous l’expression d’"éthique de la recherche" et dans laquelle la responsabilité du chercheur a toute sa place : « dans l’intégrité et la déontologie, vous obéissez, dans l’éthique de la recherche, vous décidez ».


Des ateliers de réflexion par petits groupes sur les questions éthiques que peuvent révéler les sujets exposés le matin ont eu lieu l'après-midi et ont été animés par Sarah CARVALLO, Julie HENRY (enseignante-chercheuse à l’ENS Lyon et au Centre Léon Bérard) et 4 collègues philosophes du laboratoire PPL (Univ. Grenoble Alpes), Denis Perrin, Eric Fourneret, Nicolas Aumonier et Marlène Jouan.

 

Synthèse des ateliers de l'après-midi :

Atelier « Images et représentations » (animateur : Éric Fourneret)
- Qu’est-ce qu’une vérité scientifique ? Une connaissance historique des choses ou une connaissance de ce que sont les choses ? La question de la relation entre l’épistémologie et l’ontologie se pose avec force au regard des interprétations qui peuvent être faites des imageries médicales, notamment, sur les états cérébraux. Qu’est-ce qu’une image scientifique ? Qu’est-ce qu’une lecture d’image médicale ? Cela pose la question du rapport entre l’image et la chose, entre les mots pour décrire l’image et la chose.
- L’humanité cherche à répondre à la dimension tragique de la vie : le vivant meurt. Le développement de nouvelles technologies s’inscrit dans la nécessité de se protéger de l’adversité de la vie (maladies, accidents, etc.), et de répondre aux besoins élémentaires pour vivre (par exemple, se nourrir, la protection de l’environnement).
- Les individus humains trouvent dans les progrès scientifiques les promesses que « demain tout se passera bien. » Cette attente peut sembler légitime au sein du grand public, qui espère améliorer sa qualité de vie et qu’une solution existe quand un malheur survient. La question se pose alors de savoir quel est le moteur de la recherche scientifique : la curiosité ou l’attente citoyenne ? L’attente citoyenne est-elle toujours raisonnable et responsable ? Le chercheur cherche-t-il à imaginer les finalités pratiques que peuvent susciter ses résultats de recherche ?
- Les nouvelles technologies (dont principalement les biotechnologies et les neurosciences) questionnent notre façon de penser ce qu’est l’humanité. Elles apportent un pouvoir à nulle autre pareille pour modifier la nature humaine et nous confrontent à la difficulté de la définir.
- La question se pose aussi sur les critères de régulation de la recherche : l’intégrité scientifique est une chose, les valeurs épistémiques des recherches en sont une autre. Comment organiser les recherches en considérant, à la fois, les aspects d’intégrité, d’éthique de la recherche et la dimension politico-sociale ?
- L’exigence élevée de publications exerce une pression importante sur les chercheurs (qu’ils soient séniors ou doctorants). C’est une position inconfortable qui peut nuire à la production scientifique elle-même. Entre les prévisions des résultats et leur production réelle, il peut exister un écart difficile à justifier au regard, parfois, des importants financements alloués.
- Au point précédant s’ajoute celui de la recherche de financements. Ces derniers sont de plus en plus difficiles à trouver, ce qui crée une concurrence extrêmement forte au sein de la communauté scientifique. Ce niveau de concurrence est-il approprié au bon développement de la recherche ?

 

Atelier « Enseigner la production orale autrement dans les cours de langues - Un terrain propice à la collaboration entre enseignants, artistes et chercheurs en sciences cognitives » (animateurs : Nicolas Aumonier et Denis Perrin)

Dans cet atelier, nous avons discuté d’une recherche-action qui, pour mieux faire ressortir la place de la prosodie dans l’apprentissage des langues, utilise le non-sens et le babillage afin de mieux explorer l’espace. Le résultat de cette recherche-action est que la prosodie, quelle que soit la prononciation de son utilisateur, est bien ce qui permet de se faire comprendre. Plusieurs problèmes éthiques sont apparus dans la discussion.
1° Le corps et la voix sont des organes moteurs, qui livrent une part de notre intimité. Il convient pourtant de distinguer la prononciation, qui engage plus l’intimité de la personne, et la prosodie, qui n’engage pas l’intimité de la personne. Cependant, comme l’octave chez Aristote est une forme presque pure de toute matière mais n’est pas sans matière, de même la prosodie engage peut-être moins que la prononciation le corps, mais ne peut pas ne pas l’engager elle aussi. Or un professeur de langue, à la différence d’un professeur d’art dramatique, n’a pas le droit de toucher le corps de ses élèves. Alors même que cet enseignement cherche à attirer en disant être sans tables ni chaises, cet interdit vient rappeler qu’il n’est peut-être pas aussi libertaire qu’il le prétend.
2° Ce jeu avec la liberté de l’élève dans le contexte de l’apprentissage d’une langue peut être mis en rapport avec l’affirmation de Roland Barthes : « La langue est fasciste ». Utiliser la prosodie pour enseigner une langue, est-ce jouer avec la contrainte pour la rendre minimale, ou vouloir faire oublier qu’elle est ici maximale, purement prosodique et dépersonalisante ?
3° L’évaluation de cette méthode repose sur la confiance des enseignants qui reviennent. Cette mesure de l’évaluation peut être interrogée.
Ces questions précises ont trouvé deux prolongements plus généraux.
4° Quand l’éthique de la recherche est-elle ici pertinente ? Et sur quoi a-t-elle prise ? Comment articuler ici responsabilités individuelles et collectives ?
5° Il n’y a pas d’étanchéité simple entre la dimension scientifique et la dimension éthique de la recherche, même si on passe par le terrain.

 

Atelier sur les activités proposées par la start-up « Open Mind Innovation » avec Jonas Chatel-Goldman (animatrice : Marlène Jouan)
1re partie de l’atelier : questions classiquement traitées en comité d’éthique pour l’évaluation des projets de recherche
- les besoins (exploration et connaissance de soi / mal-être non traité par thérapies alternatives / recherche de productivité en entreprise) et le recrutement de la population cible (volontariat, 200€/séance, formation entreprise à destination des cadres : problème des biais induits)
- les critères d’inclusion/exclusion
- l’évaluation de l’efficacité du protocole (phase expérimentale, problème des « fausses promesses »)
- le respect du consentement des participant.e.s
- la protection des participant.e.s contre les risques induits (suivi psychologique)
- la protection des données personnelles
2e partie de l’atelier : questions portant spécifiquement sur l’ « impact » social de la recherche menée
- risques de dérives dans les applications commerciales de la recherche (neuromarketing, conditionnement dans les dispositifs d’apprentissage)
- collusion objectifs scientifiques / intérêts industriels et financiers
- créations de nouvelles dépendances à l’égard d’objets et dispositifs technologiques
- science mise au service d’un objectif contestable (l’amélioration de la performance)
- inscription dans l’idéologie posthumaniste
- démocratisation de l’usage de ce type d’outils (accès au bien-être et à la performance sous condition de moyens financiers) et de leur utilité sociale (personnes en situation de handicap ?)
- risques psychosociaux : orientation sur une gestion individualisée de problèmes qui sont en réalité collectifs (conditions et organisation du travail, management)
- transfert et partage des connaissances (brevets / accès libre)

NB : parfois difficile de tenir la discussion sur le terrain éthique face à des questionnements épistémologiques/méthodologiques (conditions de validité scientifique du protocole)